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Négocier une action juste dans la moindre posture

par Béatrice Viard

A la question sur ce qu’est l’action juste, la réponse de l’Inde la plus rigoriste serait la suivante : c’est l’action conforme au dharma.

Pour dire très vite, le dharma est la loi universelle qui soutient, supporte et maintient la vie. Vie de tous les mondes connus ou inconnus, de tous les êtres, qu’ils appartiennent au règne minéral, végétal, animal ou humain. Mais dès l’aube de l’Inde ancienne, il y a de cela plusieurs millénaires, la conscience était forte chez l’homme, de son appartenance à l’univers et de la responsabilité qui lui en incombait.

La salutation au soleil que nous faisons, sans savoir l’impact que ces hommes de l’aube en attendaient, était un rituel, que les hommes faisaient avant le lever du jour, pour que le soleil se lève. Incroyable sentiment de participation à l’infini et à ses lois secrètes ! Ainsi, si le dharma nous porte, nous le portons en retour, s’il nous soutient nous le soutenons en retour. C’est donc son inscription dans un cadre qui le dépasse que l’action de l’homme juste ou injuste. Elle le met au service de quelque chose de plus grand qui a besoin de lui.
Le svadharma désigne la petite part de chacun dans le dharma universel : le lot des actions auxquelles nous devons chaque jour prêter notre esprit, nos bras, nos jambes et nos langues pour faire ce que l’on a à faire, ce qu’il est nécessaire que nous fassions pour la bonne marche de la tête d’épingle du monde qui est « notre monde ».
Dans la Bhagavad gītā « Krishna dit à Arjuna que la victoire et la défaite, le plaisir et la douleur, tous les buts ordinaires de l’action humaine, devaient lui être indifférents. Il faut agir mais sans réfléchir aux fruits de l’acte, aux bénéfices de toute nature qu’une action pourrait entraîner. Krishna parle de l’oubli du désir et du détachement, sans quoi aucune action ne s’accomplit par elle-même [1] ».
Je relève cette idée d’une action qui s’accomplit par elle-même.
Elle doit nous interroger en tant que pratiquant de yoga. N’est-ce pas cela que nous essayons encore et encore de faire sur notre tapis ? Un mouvement qui nous traverse, avec le moins d’engagement musculaire, le plus de consentement, de détente, de détachement possibles. Un engagement clair, avec « l’effort du non-effort » comme le requiert le sūtra 47 du chapitre 2 du Yoga sūtra. C’est à cela qu’induit un professeur quand, en dirigeant une séance, il utilise des phrases comme « les bras se lèvent », « le repoussé du sol détasse la colonne », « le sternum est attiré vers le haut et l’avant », « le sacrum est dans son poids », ou toute autre indication où le pratiquant n’est pas invité à faire, mais à laisser-faire, à enlever les obstacles. C’est ainsi que mettre de l’inaction dans l’action est rendu possible. A l’inverse, des indications comme « déposez votre poids, prenez conscience de la multiplicité des points des contact avec le sol », est une invitation à mettre de l’action dans l’inaction, comme nous enjoint de le faire la Bhagavad gītā.
Cette détente, ce relâchement, ce geste à minima musculaire, suppose que la posture soit juste ; qu’elle soit un placement conscient de ses supports, (savoir où j’en suis), de ses directions, (savoir où je vais), du lien libre entre supports et directions, (qualité de détente qui permet l’ouverture). Ainsi la posture sans cesse préfigure les qualités de toute action qui soit juste, pour chacun en fonction de ses engagements - familiaux, amicaux, professionnels, militants ou tout autre.
Quand la posture est ainsi soignée, elle ouvre des espaces dans le corps où peuvent se nouer de nouveaux liens, se trouver un nouvel espace pour le regard, que ce soit dans le temps d’assise qui suit où pas. Les nouvelles connexions dans le corps infusent bien au-delà de ce que l’on peut avoir tendance à croire. Elles permettent un regard sur soi, sur nos actions, et sur nos implications dans l’action qui rendent plus claires nos motivations. Si elles sont souvent multiples pour une même action, et parfois entremêlées, une chose que le yoga devrait pouvoir nous éviter, s’il est le grand travail de nettoyage du mental qu’il doit être, c’est la mauvaise foi. Si son action n’est pas juste, le yogi a les moyens, au moins, de le voir et de sortir de l’ornière. Le Yoga sūtra nous guide pas-à-pas sur ce chemin.

Béatrice Viard
29 août 2017


[1] Tiré de la version de Jean-Claude Carrière du Mahabharata. P.195 Ed. Belfond